J'accuse... (extrait de mon livre...)

La salle est pleine. L’ambiance est pesante. Nous assistons au dernier jour d’un procès. Celui de mon enfance. Je suis assis avec ma famille et j’attends que la cour arrive et s’installe. Mon enfance arrive menottes aux poignets et s’installe sur le banc des accusés. J’assiste à son procès et suis le témoin clef de cette affaire (...)

L’avocat fait son plaidoyer. Il vient défendre mon enfance et lui trouve des circonstances atténuantes. Il pose plusieurs questions dont celle-ci « Comment construire une enfance à Mathias si son père n’a lui-même pas vécu cette période de l’enfance ? ». Je suis atterré. Etant moi-même devenu papa de 4 enfants, je ne peux pas cautionner cette question. L’avocat de la défense entre dans un chemin tout autre à présent dans sa plaidoirie. En regardant les jurés, il leur dit que la vie de Mathias n’avait été si catastrophique que ça. Mathias a grandi en famille d’accueil de 5 à 10 ans. Il a eu des repères, des bons repères pour avancer. Le défenseur de mon enfance demande aux jurés de regarder Mathias dans les yeux. Il leur dit que c’est un adulte équilibré, père de famille, ayant un métier très convenable et une situation matérielle très correcte. Il leur dit aussi que l’adoption a été chance pour Mathias car il a pu entreprendre des études. Aurait-il eu les mêmes moyens, les mêmes ressources en restant avec des parents qui ne le mettaient dans la lumière ? Mathias s’en est donc plutôt très bien sorti malgré cette enfance qui a causé quelques dégâts dans son âme.

L’avocat demande donc aux jurés attentifs à son discours, d’être clément et de ne pas trop condamner l’accusé. Il en a terminé. Je vois mon enfance tête baissée. Un sentiment de honte et de désespoir s’inviterait-il chez elle ?

Mon avocat entre en jeu. Il défend ma cause. En regardent les jurés, il leur explique que le Mathias qui est présent aujourd’hui dans ce tribunal est un adulte accompli et heureux. Il leur demande cependant de ne pas oublier tout le chemin parcouru pour en arriver là où il est. (...) L’avocat demande donc de condamner l’accusé pour ce parcours qui a été difficile psychiquement. De condamner l’accusé pour tous les efforts de résilience que Mathias a fait pour s’en sortir. Ça l’a épuisé. Des relations ont été abîmées, perdues à cause des efforts que cela demandait à Mathias pour survivre et vivre enfin sa Vie.

C’est le temps du réquisitoire prononcé par l’avocat général. Celui-ci demande à la cour de bien peser et d’équilibrer les discours des deux parties. (...)

La cour se retire. Les jurés vont délibérer.

Une heure plus tard..

Après délibération, les jurés ont décidé d’acquitter mon enfance.

J’ai mis beaucoup de temps à accepter cette décision. Mais je me dis aussi que cet acquittement reconnait à mon enfance une place particulière dans mon parcours de vie. Cette enfance (extra)ordinaire m’a permis de vivre des choses. L’homme, le père, le mari que je suis aujourd’hui regarde cette enfance dans les yeux. Je l’accepte. Quand je parle d’elle, mon discours n’est plus celui d’une victime. Je me contente que des faits et je garde les émotions pour mon cercle privé.